En patience (Arnaud Beaujeu)

A l’envers du réel : la tentation en négatif de saisir la question. Ici on bâtit des chimères contre les ribambelles du vent. Une buée déforme la perception du temps, le paysage morne, le paysage ment. Et l’eau vient se confondre en purs jaillissements au ciel artificiel dans la cité du temps. Tout brille, tout est lisse et tout est dans l’écran, reflète les couleurs du divertissement…

 

Car peut-être qu’un jour le temps s’est arrêté, peut-être que ce jour, peut-être qu’à jamais : paroles et silences ne peuvent que frôler la faille d’évidence. Et le mot « désolé » dans sa toute impuissance, le marbre des vieux jours, le saule en sa dormance…

 

Ou des envies de peu de choses, de plaisir et de nostalgie, de prendre des courants contraires à ceux que nous attendrions. Etre l’homme de verre, enveloppé de brumes, et vivre la vie comme on fume. En corps dans la pénombre ou bien n’être qu’une ombre, disparue même là. Parfois la vue se trouble, un dôme s’éclaire, une cheminée fume, dans la nuit d’hiver…

 

Brouillard nuit mort obscure, les lignes s’éparpillent…

 

Mais l’avenir est au bout du virage…

 

Trouver un lieu où vit le sens, se sauver des lieux morts : une lueur sur la mer, un château dans les airs, bruit de pas, pluie, porte cochère, un rien qui vous effleure, un geste, un peu de pluie, un instant de douceur, un moment dans la nuit…

 

Une ombre errante par la rue prend un passage à contre-jour, un bruit de pas qui s’est enfui revient, puis une porte claque. Des pas dans cet appartement, des gestes d’existence, une étole a flotté : ce n’était que l’absence…

 

Mais la pluie tombe à renverse et l’eau dévale les rigoles, tous les arbres s’ébrouent, un pavé se descelle. Signes et passerelles, l’escalier dans la nuit, une cour sur une autre cour, une fuite de puits en puits…

 

Car tout est en patience et des milliards d’étoiles scintillent sur un noir profond, dont une seule brille à notre horizon. Si ce que la vie nous réserve est écrit dans nos mains, au rouge du matin, l’espoir est par chemins. Départ, se départir, de sa vie, repartir à nouveau. Marcher jusqu’à ce que la vie chavire, aller jusqu’à disparition…

 

Une colonne vertébrale monte à l’assaut du ciel, s’effiloche au vent. Particules de lumière, le corps en escarbilles de rêve et de matière. Terres en volutes de fumée, sillons de matière mélangée…

 

Chemin vers l’essentiel…

 

Arnaud Beaujeu (poème publié dans la revue Thauma, dir. Isabelle Raviolo, décembre 2012)