Une remorque sans roues, des objets remisés, c’est comme si tout vous attendait depuis des années, les râteaux et les fourches, manches en bois, dents d’acier, accrochés en hauteur contre le pisé, une brouette d’été, une cage à lapin, un piège à rats, l’odeur du foin, des graines traînent avec le pain
Lièvre à l’orée du jour, à l’orée du bois clair, ou lièvre à contre-jour… le cri de l’épervier comme un signal d’été, une volée de moineaux dans les haies
Au moindre craquement du jour, tout est si frêle si léger qu’un roucoulement de colombe suffit à vous apaiser, vous rêvez de vous éveiller sans un doute, mais le premier à se lever chantera l’aube comme personne avant lui
Sous un chapeau de paille, vous regardez les arbres, en faisant miroiter le vert le bleu l’été, juillet les champs de blé sous le soleil des âges, un nid dans un pommier à hauteur de visage, les oiseaux envolés comme dans un présage
Au chemin des quatre feuilles, au pays des en allés, dans la lande et le cerfeuil, votre amour s’est reposé, sous l’arceau des acacias, sous la voûte des tilleuls, chaque pierre à chaque pas vous à redonné accueil
Les vaches font conciliabule à l’ombre du pré, les meules de foin roulent jusqu’à la vallée, chapelle dans les vignes auprès des bois serrés, dans un bruissement d’ailes au-dessus de vos têtes, l’amour s’est envolé
Paille dorée bleuets et pousses de son dans les prés, le vent dans les grands arbres file à toute allure, passe au-dessus des blés, suit la courbe de la montagne, revient dans la vallée, vent qui fait remonter la Saône et les joncs sont penchés sous les grands peupliers
Celui qui chante sa vie chaque soir au sommet d’un toit sait bien que sa vie a un écho, des grillons dans la nuit font crépiter leur son strident, discontinu, comme par millions
Entre maïs et tournesol, un petit noisetier, un champ abandonné, arbres couverts de pommes, pruniers poiriers couchés, les ruches délaissées, les herbes chiffonnées sous les acacias bleus un tout petit sentier où les mûres des ronciers sont si bonnes
Sous un noyer médiéval
où les herbes sont couchées
des abeilles et des pommes
de sinople et d’or
Les murs de pisé éventrés, les saules les cadoles, les charolais sont allongés, les pigeonniers et les écoles, vignes dorées dans la vallée, ourlées de vert d’ambre et de terre, fontaine d’or des peupliers sur le vert sombre de la Saône, octobre ensoleillé
Les vignes dégringolent en cascades dorées, les arbres se sont embrasés, vives les couleurs de l’automne, dans les taillis abandonnés, vignes russes ou mordorées
Chardon muet, les murs de mousse, les ormes forment un peu de brume, la lumière fauve et douce, un corbeau dans un champ, du gui dans les noyers, le clocher dénudé… un cheval et une poule et le froid va tomber sur la nuit de novembre
Trouée dans les cieux, arbre désolé dans les champs blancs et terre, croassements de corneilles, sur la feuille étincelle un peu de givre blanc, sol givré le ruisseau va bientôt se glacer, la lumière vive et claire, talus bordé de terre, les nuages qui passent, et l’hiver
Sous les bois belles jonquilles, sur un arbre le corbeau, les garçons aiment les filles et parfois les damoiseaux, les gouttes pianotent sur les feuilles du griottier, la petite église est fermée
Hirondelles et passereaux,
immense l’ombre de la mer
hirondelles et passereaux
mansuétude de la terre
Mousses et lianes, l’orée d’un bois, champ d’éphémères aux fleurs semées, un tout petit sentier de buis et de fougères d’ombres et de lumières, votre âme déposée au beau milieu d’un pré, biche aux abois verte campagne, pierre plantée, agneau de Dieu
Au cœur tendre et ardent de l’immense lumière
(A. Beaujeu, revue Arpa n°102, octobre 2011)
Photo: A.B.
