Nous longeons un marigot. Les libellules à la surface, font tantôt du sur-place, tantôt des accélérations, comme par un don d’ubiquité. Les caniers croisent au vent : leurs feuilles déroulées bruissent muettement, ombres dans le ciel d’eau. Nous plongeons nos pieds dans les fonds tièdes du ruisseau : ils disparaissent, formes olivâtres, en réveillant des tortues d’eau, des têtards, de petites couleuvres qui vont se cacher sous la vase.
Dissimulé, un rossignol trille son chant dans un laurier. La feuillée de deux cerisiers se reflète dans l’eau. Des châtaigniers, des fougères, un sureau, de grands lierres s’enfoncent dans un val obscur aux passages secrets. Le chemin de terre permet pourtant d’y accéder: nous le réempruntons, pendant que Knight à nos côtés, fait s’envoler une grive.
Quand la nuit vient, le concert des crapauds commence doucement, avant de s’amplifier. Une chauve-souris volette en petits carrés. Les grillons parlent aux morts et un parfum de cendres s’exhale de la terre, se mélange dans l’air… Une cloche de dîner, au loin, retentit. Nous arrivons au lieu des songes…
(Arnaud Beaujeu, extrait de Pierre et Jeanne (roman), éd. d’A côté, 2018)