Pays calcaire (Arnaud Beaujeu)

Le chemin fait une courbe entre deux masures abandonnées. Un peu plus loin on arrive à un ancien relais de poste dont une seule fenêtre éclairée laisse à supposer qu’il est habité. Cependant nul ne vient ouvrir au voyageur, comme si ce lieu était hanté. Au reste, la fenêtre demeure allumée durant des nuits entières, sans que personne ne puisse sur ce point-là vous renseigner. Il faudrait enfoncer la porte, ce que personne encore n’a osé faire.

 

Il se dit aussi qu’au haut de la colline, une chapelle a été abandonnée, une chapelle à laquelle on accède seulement par les marches de la forêt. On a creusé dans la roche la courbe de son approche et arrangé au sol la calade des escaliers, dont les pierres peu à peu ont fini par s’enterrer, se desceller, s’éparpiller. Le linteau de son porche s’est lui aussi affaissé. La voûte à moitié éventrée laisse voir les vestiges d’une abside en cul de four, sur laquelle ne reste qu’un peu de peinture bleue.

 

En poursuivant la route, on arrive dans une plaine, à demi-étagée, où les moutons paissent parmi quelques restanques. Le chien du berger les surveille de près, quand son maître debout s’appuie sur une canne. Lorsque le ciel s’assombrit ou que le soleil cogne, l’homme va s’asseoir sur une pierre à l’abri d’une borie, d’où il contemple la campagne isolée.

 

Encore après, des pins, jusqu’à perte de vue. Des pins blancs espacés, à l’odeur de résine entêtante. Ils montent vers le ciel, verts tendus vers le bleu. Vus d’un pont ils forment une mer incessante, un paysage doux aux touffeurs lumineuses. Leurs aiguilles se taisent, comme pour mieux recouvrir les drailles de renards et de sangliers.

 

Puis le chemin soudain commence à monter en direction d’un haut village. Ce chemin muletier passe sous le rocher, surplombe un vallon extrêmement abrupt, au fond duquel coule un ruisseau comme un fil au plus chaud de l’été : en remontant son cours, il est possible d’accéder à des sources gorgées d’eau fraiche auxquelles, empruntant les sentiers, les villageois viennent boire et leurs bêtes se reposer.

 

Après un virage en épingle à cheveu, envahi par le cade et le genévrier, le plateau s’ouvre davantage et devient plus hospitalier. On aperçoit le village aux volets fermés. Il y règne une étrange atmosphère, une pesanteur lourde. On y vit de l’olivier et tous les arbres aux alentours sont taillés en gobelets. Vastes les champs s’offrent alors au pas du voyageur sous l’œil du métayer.

 

Plus haut encore, les monts deviennent plus calcaires et les espaces désolés. Ici et là une ferme, un chêne tortueux, nés de la terre aride. En se baissant, on ramasse une mâchoire de mouton blanchie, une fleur de chardon sèche, une pierre lissée. Au col, on découvre le ciel encore plus bleu sur la ligne des crêtes, les drapés de la pierre qui tombent en plis raides et vertigineux, les hauteurs de lumière, coruscances du ciel et verticalités.

(Texte paru dans la revue en ligne Recours au poème, n°89, 26 février 2014. See more at: http://recoursaupoeme.fr/arnaud-beaujeu/pays-calcaire#sthash.sHRWkKcO.dpuf)

En descendant dans mon jardin… (Arnaud Beaujeu)

En descendant dans mon jardin, centranthe rouge et lilas blancs
j’ai cueilli de l’amour un brin de romarin et d’origan
une immortelle et du jasmin, centranthes rouges lilas blanc
de la santoline et du thym, romarins et seringats blancs
 
L’aubriette et la giroflée se sont perdues dans le jardin, sous les poivres d’âne et l’orpin, l’euphorbe et la grande pervenche, la vipérine faux plantain
Les coronilles entêtantes se mêlent au glaïeul des prés et couvrent de leurs feuilles aimantes l’iris et le genêt d’Espagne, le chèvrefeuille, le laurier
Les cyprès et les arbousiers, les yeuses et le pistachier s’entremêlent, s’élancent, au ciel inespéré ; l’amour s’y réenchante et le vent fait se balancer les chênes blancs, le néflier, les grands érables, le cormier
 
Marjolaine, bardane, alliaires et pavots
Pâquerettes, pas d’âne, épines, mélilots
La bourrache et la chicorée par le pré se sont mélangées
 
Aubépine, brunelle, surelles, céleri
Boucages en ombelles, faucilles et carvi
J’ai jeté quelques graines de fenouil et de salsifis
 
A gouttes fines et serrées tombe la pluie sur les fraisiers, les cerisiers, les framboisiers, tandis qu’à l’intérieur, un feu crépite et que l’osier du panier bruisse à chaque bûche retirée
L’épine vinette et l’églantier abritent le merle et la grive. Le pin d’alep et l’olivier offrent leurs bras comme une rive à la pie grièche et au geai
 
Une chenille, un frelon, un bruit d’aile, une abeille
Un mulot, un grillon, une guêpe, un papillon
Une sauterelle, un bourdon, une araignée, un scorpion
Un orvet, une sitelle, un lézard, un hanneton
 
Et si la vie était légère, l’amour chantant, l’oiseau charmant, et si du printemps à l’hiver, habillés de grâce légère, les amoureux allaient dansant
Un garçon et une fille avancent par le pré. Elle se baisse pour ramasser une herbe et fait le geste de relever une mèche autour de son oreille. Il repartent élancés
 
La sarriette le thym le baguier et le romarin
la vie nous enveloppe de ses jolis parfums
et l’amour nous emporte encore un peu plus loin
la sarriette le thym le bonheur et le romarin

(Texte paru dans la Revue Contre-allées, n°33-34, automne-hiver 2013)